Si je suis aujourd'hui un joueur régulier, je me prépare à l'extinction prochaine de mon espèce. Comme quoi la fin du monde, ce n'est pas pour 2012 !
Je sors ma boule de cristal. Voici mes 5 raisons de la disparition de votre loisir favori et des dinosaures de mon genre, de surcroît :
1 - La fuite des cerveaux
Aujourd'hui, si vous désirez être reconnu pour votre potentiel créatif, mieux vaut devenir styliste ou réalisateur au cinéma. Ou au pire des cas, producteur des films auxquels je pense. Et en plus, c'est soi-disant plus glamour et ça rapporte de l'argent, de la bonne compagnie et des heures et des heures de sport en chambre.
Parce qu'à côté, nos vieux game designers doivent se mordre les doigts. Les pauvres, dégoûtés, tâtent du virtuel. Les scènes que vous portiez dans votre cœur d'adolescent trouvent enfin une explication. Qui remercier ? Bayonetta, Lara Croft, Lightning, canalisatrices de bas instincts ?
Plus sérieusement, nous avons des têtes pensantes, peut-être des Kubrick, des Osamu Tezuka, pour peu qu'on les laisse s'exprimer. Face aux sorties annuelles des FIFA et autres Call of Daube, les développeurs indépendants fournissent du bon boulot, même si l'outrance de minimalisme tue le minimalisme.
Vous me citerez Hideo Kojima voire Hironobu Sakaguchi. Je suis d'accord pour leur attribuer un statut d'auteur, de tête pensante, quoique certains méritent plus l'étiquette de figures du passé. Quid des juniors ? Nous avons Jenova Chen puis Fumito Ueda qui semble avoir connu récemment quelques déboires. Que nous reste-t-il ?
Ce dont a besoin le jeu vidéo, en tant qu'art en devenir me semble être une vision neuve que seule la nouvelle génération peut apporter. Parce que le mythe de Shigeru Miyamoto, soixantenaire prolifique, ne prend plus avec moi. Princesse Zelda, tu peux retourner dans ton cachot ! On veut du neuf, de l'inédit...
2 - La non-temporalité du jeu vidéo
Envie de mater un film culte que tout le monde se doit d'avoir vu, sinon t'es considéré comme un inculte ? Ou de zieuter le dernier album des Beatles (anachronisme) ?
Rien de plus simple. Soit vous vous offrez l'objet de vos convoitises, soit vous passez par un moyen détourné comme le piratage ou le vol pour les plus téméraires. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que votre DVD marchera sur tous les lecteurs DVD du marché. Idem pour votre CD, Blu-ray, etc.
Maintenant, imaginons que je veuille jouer à un soft Amiga d'antan. Je vois trois solutions apparaître.
Solution no 1 : acheter la console en question.
Solution no 2 : télécharger un émulateur, s'il existe.
Solution no 3 : aller se faire voir.
Telle est le leitmotiv du format propriétaire : « Va te faire voir ! » Je vous mets au défi de trouver une solution commune à toutes les plateformes et sans même parler du zonage, ni des pass solo. Sur le long terme, les répercussions de cette orientation émergeront, à savoir la perte d'un tas de pépites méconnues dans les méandres de la pensée de Kevin et une obsolescence programmée pour toute nouvelle console. Où est le travail de mémoire ?
D'ailleurs, sur PC, les éditeurs adoptent aussi le système des marchés en ligne. Steam, Origin, Desura et bientôt le Windows Store sur Windows 8, pour ne citer qu'eux... Les festivités ne font que commencer. C'est beau, le dématérialisé, hein ?
3 - Mariage entre l'art et la technologie
Les graphismes n'ont cessé de s'améliorer. Gestion du displacement mapping et de l'environment mapping, diverses méthodes d'éclairage par pixel, textures de qualité optimale, effets de particules de bon aloi...
Les arguments des concepteurs de moteurs de jeu n'ont pas changé d'un iota, depuis la génération précédente. Eh, oui, on vous vend de la surface, du rêve. Les premières minutes, les effets visuels et autres jeux de lumière vous arracheront des larmes de bonheur sur Battlefield 3. Mais, si c'est pour se faire éblouir de nuit par le moindre lampadaire, incarner un soldat, souffrant d'hypersensibilité rétinienne, devient moins palpitant.
De même, cela me paraît paradoxal qu'auparavant, à l'aide de deux sprites et d'une musique 8-bit, les développeurs arrivent à nous faire ressentir un sentiment d'urgence, alors que désormais, il est nécessaire de tout faire péter, de mettre une chanson d'enfer et de ne jurer que par l'action, l'action, l'action à outrance. Même les papas de Bioshock Infinite s'y sont mis.
Moi vois, moi joue.
Je caricature un peu, parce qu'on omet souvent la technique pure et dure. Qu'en est-il de l'intelligence artificielle, de la gestion des collisions et la physique, des temps de chargement, de l'animation des personnages ? Et j'en passe.
À l'heure où le clipping et le tearing mangent Resident Evil 6, alias le jeu où on se fait bloquer par une chaise, j'éprouve de l'appréhension. En 2012, je trouve que certains problèmes sont INADMISSIBLES.
Imaginez, cela fait dix ans qu'on peste contre les mêmes soucis et nos réclamations ne sont pas prises pour parole d'évangile. Bon sang ! Entre temps, les programmeurs préfèrent le Hot Coffee ; c'est un défi plus excitant que de calculer la trajectoire des balles adverses et des points d'impact. Et que dire du debug et de l'optimisation du code ? Il n'y demeure plus simplement de volontaires.
4 - Le déclin des séries phares
Peu de nouveautés voient le jour, c'est un fait. Ou du moins, peu de concepts inédits déboulent dans nos vertes contrées. Certes, quelques bols d'air frais (le petit Dishonored qui n'a pas froid aux yeux) parviennent à égayer nos journées.
Sinon, pourquoi nos sagas fétiches se sont-elles dénaturées ? Qu'apporte Silent Hill : Book of Memories à la mythologie de la colline silencieuse ? Aussi, pourquoi Final Fantasy XIII constitue-t-il un raté total ? Pour enfoncer le clou, chers détracteurs, vous qui affirmez que Final Fantasy se réinvente à chaque épisode, comment expliquez-vous la sortie de deux volets, suites respectives du volet maudit ?
La faute revient-elle à qui, à moi ou à des développeurs têtus et convaincus de tenir le bon filon ? Autant revoir sa politique à Square Enix parce qu'il ne faut se leurrer, la saga initiée par Hironobu Sakaguchi se noie dans la culture kawaï et les fautes de goût d'un Tetsuya Nomura qui, en manque d'inspiration, se répète. Par ailleurs, comment expliquez-vous ce silence radio autour de Versus alors qu'un volet d'Assassin's Creed sort chaque année ?
Encore une fois, seules de nouvelles têtes aux regards neufs sur l'industrie peuvent remédier à ce problème. Cependant, lorsque Hideo Kojima annonce tout de go « Le jeu vidéo d'auteur est un concept qui se meurt, et ma génération est probablement la dernière à en faire partie », j'ai tout sauf envie de me réjouir.
À ce sujet, seul Konami semble avoir trouvé un compromis, en laissant d'autres studios s'exprimer, pour donner un second souffle à Castlevania ou à Silent Hill. Ça ne fonctionne pas toujours ainsi, mais je salue l'initiative, quoique certaines décisions restent discutables. En cours de route, l'éditeur a commis quelques erreurs ; dernièrement je trouve qu'il s'est bien rattrapé.
Pour conclure, d'après vous, pourquoi Kickstarter est-il devenu une mode ? Les vétérans du jeu vidéo et les petits studios indépendants y trouvent un moyen rapide de financement sans passer par les traditionnels éditeurs et producteurs, peu enclins à prendre des risques. Comme quoi même Charles Cecil s'y met.
5 - Le choc des générations : Toi, moi, Kevin et vous
Kevin ou l'archétype de l'adolescent écervelé. Je m'excuse devant tous ceux qui portent ce prénom. Copain, copain ?
Récapitulons, une théorie veut que le jeu vidéo se démocratise à grande échelle, dans les années suivantes, à travers ce schéma ; nous, les dinosaures devenus seniors continueront à jouer, tout comme Kevin qui, une fois adulte, donnera naissance à des enfants ; les Kevin bis, naissant avec le jeu vidéo et l'informatique, deviendront des adeptes et transmettent ainsi la drogue à leur succession.
Cela revient à dire que le jeu vidéo s'ouvrira à toutes les catégories sociales. Une utopie ! Croyez-vous qu'à soixante-dix ans, vos occupations ne changeront pas ? Pas si sûr ! En tout cas, personnellement, je ne me vois pas en âge d'or marteler des boutons comme un forcené pour décapiter mon prochain, ni me trémousser devant une caméra avec la souplesse d'une danseuse indienne.
Déjà, que maintenant je n'ai plus beaucoup le temps de jouer, entre le travail et mes autres passions dévorantes, le cinéma en tête ! Ensuite, si pour entendre Kratos hurler « Les dieux de l'Olympe m'ont abandonné » ou « Prépare-toi à mourir », je préfère laisser ma place. Vous n'avez aucune idée du nombre de meurtres virtuels que j'ai commis, j'ai eu ma dose et elle me suffit amplement, les amis.
Voilà, sinon, ça me fait chier d'assister à la montée en puissance des smartphones et des tablettes qui, pourtant, ne proposent et ne proposeront jamais une expérience aussi complète qu'un ordinateur ou une console actuelle. Peut-être que les besoins évoluent. Je considère les jeux ou du moins les mini-jeux sur téléphone comme un simple passe-temps.
Ce dont je rêve n'est pas de faire sauter le gribouilleur de plateforme en plateforme, mais qu'on ébranle mes certitudes que je ressens une large palette d'émotions, me remets en question, me divertis et réfléchis. Bref, que je sorte bouleversé à jamais de mon expérience. Ce coup de maître, seul le jeu vidéo a su l'exercer sur ma personne, lorsque je m'y attendais le moins. J'espère que cela va continuer parce qu'au fond, nous sommes responsables des points susmentionnés. Qui achète et soutient chaque année Call of Duty ou Mario Kart ?
Je ne dis pas que ces jeux frôlent la nullité absolue, mais, qu'ils ont leur public. Nos buts et nos goûts sont, certes, différents ; si c'est pour qualifier quelques-uns de Kikoolol, vous versez dans l'hérésie. Chacun est libre de chercher et de trouver dans le jeu vidéo ce qu'il désire et il ne revient à personne d'émettre son avis sur la question.
So, just play!